dimanche 16 janvier 2022

La fin de la vie, c'est encore la vie

L'avocat français Erwan Le Morhedec ne pense pas comme la majorité concernant le droit à l'euthanasie et au suicide assisté. Ce blogueur, alias Koz, déconstruit les concepts de dignité et de liberté  et soutient qu'une telle légalisation "parachève la fracturation de la société en autant de destins individuels solitaires et concurrents".

Surtout les plus pauvres, les plus fragiles, les plus isolés ainsi que leurs proches, les soignants et la société toute entière devraient plutôt avoir le droit à des soins palliatifs, cette merveille de la médecine. Les soins palliatifs apportent alors une alternative humaine et véritable.

Pour lui, nous sommes passés d'une société du devoir à une société de l'autodétermination, où la faiblesse est méprisée et  l'individu est isolé, la société ne prenant plus en charge ses aînés. Vouloir maîtriser la mort est illusoire, selon cet avocat. Mais c'est cohérent avec les valeurs prônées par une société qui ambitionne de juguler tous les risques. 

"Tu ne tueras point" n'est pas seulement constitutif des sociétés judéo-chrétiennes, c'est un interdit civilisationnel majeur. Passer du "tu ne tueras point" à "tu tueras de temps en temps, sous certaines conditions" est un basculement. Michel Houellebecq, dans son dernier roman anéantir a raison de parler de rupture anthropologique, précise-t-il.

Quand on demande ce que les personnes souhaitent pour leur mort, ils répondent qu'ils ne veulent pas souffrir. Or la sédation profonde et continue maintenue jusqu'au décès répond à cette demande. Quand les patients ont accès aux soins palliatifs, la quasi-totalité des demandes d'euthanasie disparaît, écrit-il.

Les derniers jours de sa vie, il y a encore des choses à aimer, à dire, à vivre, à mettre en ordre. Des personnes à revoir, des pardons à advenir, des secrets à dévoiler, des dénouements à obtenir, un  regard de l'ordre de la transmission. 

Les dérives sont inéluctables, une logique dévorante. Euthanasier une personne dépressive, qui vit des troubles bipolaires ou de schizophrénie, élargir le champ d'application de la légalisation est inimaginable pour lui. 

Celui qui a les moyens a toujours la possibilité d'avoir des soignants en nombre pour lui accorder de l'attention.  Au Canada, des calculs sérieux ont été réalisés sur le coût de la fin de vie. Le seul fait de se demander quelle somme un mois de vie en moins permettrait d'économiser influence l'approche.

Pour cet avocat, la médecine des petits riens est une lumière, un des derniers témoignages de sollicitude et de fraternité que notre société propose, l'un des rares lieux que l'urgence et l'obsession budgétaire épargnent à peu près. Il faut savoir trouver des soignants qui ont le temps de nous laisser mourir en paix. Il faut éviter de voir les personnes en fin de vie comme des patients encombrants dans des services débordés.

A la fin de sa vie, ma mère a eu accès à des soins palliatifs. Elle ne voulait pas entendre parler de l'aide à mourir. Pourtant un médecin qui l'a vue la trouvait encombrante et souhaitait qu'elle parte plus vite. Mais accompagnée, avec les soins appropriés, elle voulait vivre sa vie jusqu'au bout. Pour elle, sa " fin de vie c'était encore la vie".

(Source: article de Nicolas Bastuck, dans Le Point, no 2578, du 6 janvier 2022)


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