Les prisonniers du Covid
long
Fatigue, douleurs, troubles neurologiques… Certains
patients infectés voient leurs symptômes persister.
Xavier, 48 ans, est perturbé. Ce matin de
décembre, en salle d'attente, il s'en veut. « L'infirmière m'a
téléphoné pour me dire de venir avec ma tenue de sport. Évidemment, je l'ai
oubliée », répète-t-il, soudainement anxieux. Cela arrive à tout le monde,
serait-on tenté de le rassurer. « Non, c'est ma vie depuis que j'ai eu
le Covid : j'oublie tout ! », soupire-t-il, dépité. Il tenait
absolument à se rendre à la consultation consacrée au Covid long.
Parmi les problèmes qui lui sont « tous tombés dessus » avec
le virus, dans son
assiette, les aliments ont perdu leur saveur et il ne sent plus aucune
odeur. « Cela me pèse terriblement. Et, dans mon métier, l'odorat est
un outil de travail, notamment pour détecter les odeurs de gaz. Désormais, je
dois toujours travailler avec un collègue qui est, littéralement, mon nez »,
explique-t-il, son dossier médical à la main. Depuis son épisode de Covid en
novembre 2020, c'est toute sa vie qui est « complètement chamboulée ».
Outre des « pertes de mémoire constantes », le quadragénaire doit
aussi endurer des démangeaisons sur tout le corps, une sensation de froid
récurrente dans les mains et les pieds, un essoufflement au moindre effort, une
fatigue omniprésente… « Si je ne suis pas en intervention, je me couche
entre midi et 14 heures. Impensable avant », témoigne cet homme dynamique,
au physique athlétique, dont on ne soupçonnerait pas les tourments. Les autres
patients venus chercher de l'aide ce matin-là, assis silencieusement en salle
d'attente, affichent une fatigue beaucoup plus visible que la sienne. Certains
ont le souffle si court qu'ils ont du mal à parler. Si Xavier, à la tête
d'une équipe de 17 personnes, continue d'exercer son métier, qu'il adore, il a
dû mettre en place des stratégies pour ne pas mettre en péril sa vie ou celle
de ses hommes. « Je n'interviens plus dans les feux. Pour travailler
dans un air vicié, on porte un appareil de protection avec une bouteille à air
comprimé dans le dos, un ARI [appareil respiratoire isolant,
NDLR]. J'ai peur de ne plus y arriver. J'ai peur que ça ne mette fin à
ma carrière. »
Souffrances. Des récits de vies mises sens dessus dessous
par des symptômes post-Covid qui n'en finissent plus, les médecins en recueillent
plusieurs par semaine dans cette consultation. La plupart des malades du Covid
guérissent et reviennent à une vie normale en une quinzaine de jours, mais,
pour d'autres, c'est une autre affaire : ils conservent des signes cliniques
pendant des semaines, voire des mois. Certains ont gardé des séquelles d'une forme grave de la maladie, comme une
fibrose pulmonaire. Leurs symptômes, liés à des lésions, sont facilement
explicables par les médecins. La pandémie de Covid-19 avançant, est apparue une
autre population de malades : celle touchée par ce qu'on appelle désormais le
Covid long. Un terme d'abord adopté par les patients eux-mêmes, avant que le
corps médical ne s'en saisisse et qu'il soit reconnu par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) en avril
2021. Il recouvre une myriade de symptômes : une très grande fatigue que ne soulagent
ni le repos ni le sommeil, des troubles neurologiques (maux de tête, sensations
« étranges »), cardio-thoraciques (douleurs et oppressions thoraciques, cœur
qui s'emballe, essoufflement, toux) et de l'odorat et du goût. Les douleurs,
les troubles digestifs et cutanés sont également fréquents. Sans oublier les
sensations de diminution des capacités attentionnelles, le fameux « brouillard cérébral ».
Les malades sont soumis à
une série d’examens, comme l’oxymétrie, qui, avec un saturomètre,
mesure le niveau de saturation en oxygène dans le sang. Aux souffrances des patients peut s'ajouter celle de ne pas être pris au
sérieux par le corps médical, parfois prompt à attribuer une origine
psychologique à tous leurs problèmes. Face au Covid long, dont les ressorts
physiopathologiques sont encore obscurs, les médecins, notamment généralistes,
sont souvent démunis. Il a bien fallu se débrouiller. Pour éviter l'errance
médicale, le Dr Dervaux, médecin rééducateur, a mis en place, avec un confrère
généraliste, un parcours de soins spécifique, qu'il coordonne depuis juin. « On nous adresse des patients et nous nous efforçons de faire le
point sur l'histoire de chacun puis d'établir une prise en charge personnalisée
», explique-t-il.
Espoirs. Pour Xavier, comme pour tous les patients, le bilan durera deux heures
et demie. Analyse de sang, prise de tension, électrocardiogramme… suivis d'un
test de marche de six minutes sous l'œil d'une infirmière. Rien qui ne le mette
particulièrement en difficulté, même si ses capacités de récupération (évaluées
par son taux d'oxygène dans le sang et sa fréquence cardiaque) sont en deçà de
celles attendues d'un pompier professionnel. Le test olfactif, en revanche,
tourne à l'épreuve. Parmi les dix liquides parfumés (vanille, rose, café, clou
de girofle…) qui lui sont présentés, neuf lui sont complètement impossibles à
identifier. Il a beau faire danser les fioles sous ses narines, rien n'y
fait. « Parfois, je me demande si je ne suis pas fou », lâche-t-il.
La dernière odeur lui « saute au nez » subitement. Son visage
s'éclaire, alors même que celle-ci est la plus déplaisante de la
collection. « Je suis tellement heureux d'avoir senti quelque chose,
même si c'est du vinaigre ! » s'exclame joyeusement le pompier. Malheureusement,
pas de quoi se réjouir. « Quand ils sentent ce genre de produit, les
patients pensent qu'ils sont en train de récupérer leur odorat, alors que ce
n'est pas le cas. Je dois souvent doucher leurs espoirs. Dans le
Covid, ce sont les nerfs de l'olfaction qui sont atteints. La détection
d'odeurs comme celles du vinaigre ou de la Javel persiste car elle dépend de
nerfs liés à la sensibilité de la muqueuse nasale qui ne sont habituellement
pas touchés. »
La grande majorité des personnes atteintes du Covid
recouvre l'odorat dans les quinze jours. Six mois après l'épisode, la situation
est revenue à la normale dans 95 % des cas. Au-delà de ce délai, les chances de
récupération sont minces et aucun traitement n'existe pour l'anosmie. Seule
option : l'entraînement olfactif . Pour ce faire, les soignants
ont recours à des huiles essentielles. « En neurologie, la rééducation
repose en général sur l'entraînement. Même si nous espérons rendre service aux
gens, on doit être honnête avec eux : nous n'avons aucune preuve que cela
fonctionne dans l'anosmie ».
Rééducation. On propose des ateliers dans le cadre de la réhabilitation
respiratoire des patients atteints de Covid long, comme ces séances de gymnastique
douce.
L'espoir de retrouver l'odorat, Nathalie s'y accroche de toutes ses
forces. Cette femme de 36 ans est une des premières à avoir bénéficié de la
consultation du Dr Dervaux et de ses collègues. Si elle s'estime «
chanceuse d'avoir été épargnée par les problèmes respiratoires », ce n'est
pas exactement qu'elle ne sent plus rien depuis son épisode de Covid d'avril
2021, bien au contraire. Toutes les odeurs du quotidien ont été remplacées par
d'autres, entêtantes et particulièrement désagréables. Des « fausses odeurs »
en somme, phénomène couramment observé par les ORL dans le cadre du Covid
long. « Il m'arrive de sentir des odeurs d'oignon. Et, depuis trois
semaines, je sens une odeur de métal. L'enfer. Maintenant, c'est quasiment tout
le temps. » À la suite de sa première consultation il y a six mois, Nathalie a décidé de commencer la
rééducation par l'entraînement olfactif. Jusqu'ici sans aucune
amélioration. « La fatigue physique a fait place à la fatigue
psychologique, lâche-t-elle d'une voix blanche. J'ai l'impression
de devenir dingue, les repas sont devenus infernaux. Aujourd'hui même, au
déjeuner, j'ai pleuré. »
Impact. Xavier non plus ne peut pas retenir ses larmes. Devant Coline
Schuster, la psychologue, ce père de famille qui pense « devoir être
fort », peu habitué à se confier, craque. Les mots s'étranglent dans
sa gorge, puis jaillissent. Il évoque, pêle-mêle, l'angoisse de se sentir
physiquement et intellectuellement « diminué », la peur d'être «
un boulet pour son équipe », sa propension nouvelle à s'énerver au travail,
à la maison… À l'issue de la séance ponctuée d'exercices cognitifs et de
mémorisation, la psychologue le rassure : ses facultés intellectuelles sont
normales. « Vos scores d'anxiété et de dépression sont assez élevés. La
maladie a un vrai impact sur votre qualité de vie, indique-t-elle d'une
voix douce au pompier, déjà rattrapé par l'émotion. Le Covid vous a
laissé des traces physiques, c'est normal que ce soit difficile. » Pour
prendre en charge des « symptômes dépressifs qui s'installent »,
elle l'encourage à se rapprocher du centre médico-psychologique le plus proche
de son domicile. Conseil réitéré par le Dr Dervaux, qui le reçoit dans la
foulée. Côté symptômes respiratoires, Xavier a déjà réalisé de nombreux
examens, prescrits par un cardiologue et un pneumologue. Aucun n'a mis en
évidence de dysfonctionnement. Le médecin rééducateur lui propose alors de
passer une épreuve d'effort permettant d'analyser comment son organisme utilise
l'oxygène. « En cas d'anomalie, on pourra vous proposer un programme de
réhabilitation respiratoire, fondé sur le réentraînement à l'effort »,
assure-t-il.
Thérapies. Si les médecins ont bien peu de solutions face à la
disparition de l'odorat, ils sont mieux armés pour aider les patients sur le
plan respiratoire. Cette
infirmière en réanimation de 42 ans remonte la pente après trois semaines de
réhabilitation respiratoire. Au programme, tous les jours : vélo,
balnéothérapie, renforcement musculaire, jeux sur Xbox, ergothérapie… Le tout
dans une ambiance plus proche du club de sport décontracté que du service hospitalier.
Dix jours après sa contamination, l'infirmière déclare une pleurésie,
puis une embolie pulmonaire et un infarctus pulmonaire. Et se retrouve à la
place des patients dont elle prenait soin chaque jour, en soins
intensifs. « J'avais l'impression de suffoquer, avec de grosses
douleurs dans le dos et dans l'épaule. » Depuis mars 2021, elle
souffre de maux de tête, de fatigue, de douleurs musculaires et elle n'a récupéré
ni son odorat ni son souffle. « Je suis incapable de faire des choses
simples du quotidien, comme porter les courses ou laver les carreaux. J'ai
trois enfants et je n'ai pas toujours la force de jouer avec eux. En un an,
j'ai l'impression d'en avoir pris vingt », raconte l'infirmière en
descendant d'un vélo d'appartement d'une des salles de sport du service.
Patience et persévérance. Pour prendre en charge ces formes
respiratoires de Covid long, médecins et soignants ont dû faire preuve de pragmatisme. « On ne sait pas exactement ce qui se passe pour ces patients. C'est comme si les centres de commande respiratoire
dans le cerveau avaient été déréglés par le SARS-CoV-2, entraînant fréquemment
des phénomènes d'hyperventilation au moindre effort. Mais prendre en charge les
syndromes d'hyperventilation, on sait faire. On obtient de bons résultats. » Pour
les malades, il s'agit ni plus ni moins de réapprendre à faire quelque chose
qu'on pense inné : respirer. En plus de l'activité physique, la jeune femme a
intégré à sa routine quotidienne des exercices de respiration prescrits par la
kinésithérapeute du centre. Après trois semaines de rééducation, elle se sent
déjà mieux et réapprivoise son souffle. « Maintenant, quand je dois
monter un escalier, je commence par réfléchir à mes inspirations et expirations
pour être sûre d'arriver en haut. » Malgré un tempérament combatif, se remettre sur pied sera long et il ne faudra pas relâcher les efforts une fois le programme de quatre semaines terminé. « J'ai
commandé un vélo d'appartement au Père Noël », plaisante-t-elle. La
patience, c'est bien l'effort supplémentaire demandé à ces malades. « On parle de mois pour récupérer », indique le Dr Dervaux.
Une bien longue peine pour ces prisonniers du Covid, qui n'espèrent qu'une
chose : ne pas prendre perpète.
(Source: article de Héloïse Rambert dans le Point, hebdomadaire français du 5 janvier 2022)