vendredi 3 décembre 2021

L'autorisation d'introduire de l'hydrogène dans le gaz naturel d'Énergir

Énergir, le distributeur de gaz naturel, anciennement nommé Gaz Métro,  a obtenu l'autorisation de la Régie de l'énergie du Québec d'injecter de l'hydrogène dans une partie de son réseau pour évaluer les effets du transport de la ressource sur ses infrastructures. Énergir détient 11 000 kilomètres de gazoducs dans son réseau. Énergir veut mesurer les effets potentiels de la combinaison des deux gaz, l'hydrogène vert produit à partir d'énergies renouvelables et le gaz naturel, sur les composantes de ses réseaux de distribution. 

Les tests seront réalisés sur un site situé près de la Cité du Multimédia, à Montréal, et le Quartier de l'énergie, à Boucherville. Les deux "postes d'injection mobiles" ont été conçus et fabriqués pour la somme de 5,9 millions de dollars et devraient être opérés dès mai 2022, pendant un an.

Cette technologie permettrait de stocker les surplus d'électricité, explique Olivier Pineau, directeur Ingénierie et gestion des actifs chez Énergir. Les réseaux de transport sont des "autoroutes gazières", leur pression est plus forte, le volume de gaz est plus grand et sont construits en acier, note Pineau.

Deux importants centres mondiaux de production d'hydrogène se trouvent au Québec. L'usine Air Liquide de Bécancour produit près de 8,5 tonnes d'hydrogène vert chaque jour. Hydro Québec construira une usine d'électolyse à Varennes avec une capacité prévue de 88 mégawatts.

(Source: l'article de Ulysse Bergeron du Devoir d'aujourd'hui)

Voici un ajout intéressant: une portion prélevée d'un texte d'analyse de Bruno Detuncq, professeur émérite de Polytechnique Montréal, désormais bénévole engagé au Regroupement Vigilance hydrocarbures (RVHQ), membre de son comité de coordination, organisation où je suis aussi bénévole à la trésorerie depuis 2013.


Analyse des résultats : aspect sécurité des utilisateurs 

Ce n'est pas la sécurité du réseau qui est le plus important, c'est la sécurité des citoyens ! C'est plus large que la sécurité du réseau, car ça inclut le fonctionnement hors réseau, c'est-à-dire à la maison ou en entreprise. Les tests qu’Énergir compte effectuer ne porteront que sur le réseau, ce n’est pourtant pas le maillon faible du système. 

L’hydrogène est un gaz hautement explosif, l’énergie requise pour l’enflammer étant environ 10 fois plus faible que pour le méthane. De plus, la plage d’inflammabilité du méthane se situe entre 5 % et 15 %, celle de l’hydrogène se situe entre 5 % et 75 % (en proportions volumiques). Cette caractéristique rend l’utilisation de l’hydrogène plus risquée. Énergir compte faire des tests sur des conduites avec des concentrations d’hydrogène allant jusqu’à la valeur de 50 % : C'est énorme ! On est dans des conditions non sécuritaires.

Énergir considère que la haute concentration de H2 commence à 20%. À mon point de vue la haute concentration de H2 commence à 5 % compte tenu du danger et des modifications nécessaires pour adapter les systèmes. Enbridge compte tester l’utilisation du H2 à des concentrations plus faibles que 2 %. Ce qui est beaucoup plus bas et prudent. Énergir devrait suivre l'exemple.

Aucune mention par Énergir d’évaluation de la sécurité en cas de fuite ou arrêt de flamme pilote et réallumage par la suite pour les appareils domestiques. C’est pourtant essentiel. Que ce soit les cuisinières au gaz, ou les chauffe-eau et les fournaises au gaz, ce sont des appareils conçus pour un type de combustible. Ils ne peuvent pas être alimentés par un mélange contenant de l’hydrogène. Aucune analyse de fuite de H2 ne semble être planifiée dans les tests qu’Énergir compte effectuer. C’est portant essentiel et cela a toutes les étapes de l’installation. À part l'analyse des NOx, aucun autre polluant ne sera mesuré, comme les HAP ou le COV. Ce n’est pas acceptable, surtout dans le cas d’usages domestiques où la santé des enfants peut être en jeu.

Pour toutes les installations où l’hydrogène sera présent, il sera nécessaire d’ajouter des appareils essentiels pour prévenir les fuites, les détecter si elles se produisent et d’action de coupure de 6 l’alimentation. Ces appareils sont essentiels pour la sécurité des utilisateurs, mais entraînent des coûts significatifs. Aucun test sur les brûleurs de grande capacité n’est prévu. La présence de H2 peut induire des changements importants dans la forme et la dynamique des flammes ainsi que sur le transfert de chaleur entre la flamme et la charge à chauffer. Les gestionnaires de grandes bouilloires devront faire des modifications importantes aux installations si la concentration de H2 est élevée. Autre problème pour les clients industriels. L’hydrogène a une vitesse de flamme laminaire aux conditions stœchiométriques de l’ordre de 300 cm/s, bien supérieure à celle du méthane, qui est d’environ 35 cm/s. Le transfert de chaleur entre la flamme et l’enceinte sera modifié par cette différence, ce qui impose des modifications aux brûleurs pour être en mesure de s’adapter au changement de mélange combustible. 

Des coûts importants pour les utilisateurs peuvent en découler. La combustion de l’hydrogène fera augmenter la proportion de la vapeur d’eau dans les gaz brûlés, et ce, en proportion de la concentration d’hydrogène. Cette vapeur d’eau en présence de CO2 peut générer de l’acide carbonique qui à la longue peut endommager les composantes de chauffe et la cheminée.

Analyse des résultats : aspects financiers 

Du côté financier, la vente d’électricité à Énergie pour produire de l’hydrogène par électrolyse, ne représente pas une bonne affaire. Si ce courant était vendu au tarif résidentiel ‘D’ pour, exemple, l’alimentation de véhicules particuliers, Hydro-Québec aurait un revenu de 411 M$ de plus par année. En combinant les pertes financières et les pertes énergétiques, on arrive à un portrait très peu reluisant de l’idée de remplacer du gaz naturel par de l’hydrogène dans les conduites d’Énergir

Ici on ne parle même pas des dangers inhérents à la présence de ce gaz très inflammable et explosif, et qui peut provoquer des détériorations de certaines composantes des systèmes, donc des coûts de réparations et de modifications. Autre point important. La quantité de CO2 évité par l’ajout d’hydrogène n’est pas très important, pour une fraction de 10 %, il y a 1.71 M tonne CO2 d’évité par année sur un bilan provincial total en 2019 de 84 M tonne. C’est trop faible pour justifier un tel projet. 

Si l’on met en rapport les émissions évitées de CO2 avec le montant de perte de revenus d’Hydro-Québec, on obtient une valeur de 240 $ la tonne de CO2 évitée. Tout cela pour ça. Autre élément à considérer, le cycle de vie de toute l’installation nécessaire pour produire, comprimer, stocker et distribuer l’hydrogène. Cette analyse est à faire, car les électrolyseurs sont des appareils dispendieux, ayant des composantes qui s’usent avec le temps et qui demandent de l’entretien minutieux. Tout cela entraîne des coûts et une utilisation de matériaux de haute qualité impliquant une dépense d’énergie pour les produire et générant des déchets miniers, souvent toxiques.

Une analyse du Taux de Retour Énergétique (EROI) de l’ensemble du procédé doit être faite pour permettre une évaluation réaliste de la pertinence de ce type de projet. 7 Du côté des utilisateurs, domestiques ou industriels, l’ajout d’hydrogène au gaz naturel imposera des frais supplémentaires importants pour modifier les équipements et rendre l’utilisation de ce mélange sécuritaire. Est-ce un investissement logique dans le contexte de la crise climatique où le gaz naturel produit par fracturation sera toujours la composante principale du mélange ?

La production d’hydrogène peut être tout à justifiée pour certains usages. Exemple le stockage d’énergie pour des réseaux autonomes, ou pour du stockage saisonnier sur le réseau principal, ou pour une utilisation comme combustible dans des flottes de navires ou de camions longue distance, ou encore pour remplace le charbon dans des aciéries afin de produire de l’acier sans émissions de CO2.

L’étude présentée plus haut (que je n'ai pas reproduite ici car technique à souhait) ne fait que de démontrer l’absurdité de l’alimentation du réseau de gaz naturel par de l’hydrogène obtenu par électrolyse de l’eau en utilisant l’électricité produite par les barrages d’Hydro-Québec. De plus, contrairement à ce que prétend Énergir dans le document soumis à la Régie de l’énergie, injecter de l’hydrogène dans son réseau n’est pas un mode de stockage d’énergie, le mélange sera brûlé rapidement.

Le stockage le plus efficace est l’eau retenue derrière les barrages et non l’hydrogène provenant d’électrolyse, à moins de le stocker pour l’utiliser dans des piles à combustible ou des turbines à gaz pour la production d’électricité dans les conditions de demande à la pointe en hiver.

Conclusion : On en conclut que l’utilisation directe de l’électricité est une bien meilleure avenue que la transformation en hydrogène dédié à l’alimentation dans des conduites de gaz naturel. Moins il y a d’étapes de transformation, plus élevée sera le rendement total d’un système. L’économie d’énergie et la recherche des filières les plus aptes à diminuer les émissions de GES au Québec doivent guider les choix qui auront des conséquences à long terme. C’est un devoir envers les générations à venir.

Pour finir, introduire de l’hydrogène dans le gaz naturel cela implique de continuer à consommer du gaz naturel provenant de fracturation, c’est une très mauvaise idée qui nuira à la décarbonation de la province et nous enchaînera pour longtemps dans un chemin contraire à toutes les analyses portant sur le climat.

Revoir les conclusions du GIEC et de l’Agence Internationale de l’Énergie.

Références:

1    https://dondon.vvv.enseirbatmeca.fr/devdurable/TPpilecombustible/TPpileacombustible.htm 

2 https://energie.hec.ca/wp-content/uploads/2021/01/EEQ2021_web.pdf

3 https://www.energir.com/fr/grandes-entreprises/gaz-naturel-quebec/proprietes-du-gaz-naturel/

4 https://www.hydroquebec.com/data/documents-donnees/pdf/rapport-annuel-2020-hydroquebec.pdf 

5 https://www.hydroquebec.com/data/documents-donnees/pdf/tarifs-electricite.pdf#page=9


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