dimanche 10 mars 2013

L"opéra de Montréal en ce mars 2013

L’opéra de Montréal nous présente une œuvre fascinante, convaincante et inspirante. Vous avez peut-être connu cette histoire en lisant le livre de soeur Helen Prejean Dead man walking: An Eyewitness Account of the Death Penalty in the United States. Traduit en français en 1996, La dernière marche a aussi été le levain d’un scénario d’un film de Tim Robbins en 1995, dans lequel un condamné à mort, Sean Penn, rencontre une religieuse, Susan Sarandon, qui deviendra son guide spirituel dans le couloir de la mort, condamné à mourir sous une injection d’une dose létale, qui accueillera sa confession tardive, qui lui permettra de savoir qu’il est un fils de Dieu qui pardonne, qui sera présente lors de son exécution, qui lui permettra de quitter les siens avec, dans un coin des sa pensée, une Rédemption promise.
En 2000, Jake Heggie (né en 1961) compose un opéra basé sur cette histoire en 2 actes.  D’abord présenté à San Francesco puis dans 35 pays à travers le monde, cette semaine, Montréal a la chance de pouvoir accéder à cette œuvre bouleversante.
Lors d’une conférence  à la Maison de la musique Sorel-Tracy, mardi dernier, par le réputé musicologue Pierre Vachon, à l’aide d’extraits sonores et visuels,  il nous a permis de mieux comprendre l’opéra contemporain.
Un opéra près de nos réalités et de la sensibilité humaine, qui présente de grandes valeurs, présence d’une relation entretenue avec le monde environnant.
L’opéra contemporain dépeint un monde, nous montre la déshumanisation de la victime humaine. Alors la façon de concevoir la musique change. La musique va ailleurs, nous explique-t-il avec éloquence et générosité.
On ne pense plus en mode majeur ou en mode mineur.  Par la psychanalyse freudienne, par une meilleure compréhension de la santé mentale, l’opéra devient alors un outil de propagande, un outil pour faire passer des messages, nous faire comprendre qui nous sommes.  L’Art nous éveille alors à ce qui est plus grand que soi. L’Art nous permet de mieux comprendre ce qui est en nous.
Pierre Vachon nous expose donc quelques extraits musicaux d’Alban Berg dans son œuvre du début du siècle,  Wozzeck, (1925) et son langage Sprechgesang (parlé/chanté). Un monde complexifié, incluant plus de bruit dans la musique. Un agencement de sons, assemblés de façon  nouvelle.  Les bruits de la radio, de moteurs de véhicules peuvent ainsi entrer dans un opéra contemporain. Le langage vocal change. L’art lyrique s’en va dans tous les sens. La façon de chanter démontre le sentiment du vertige, la perte de contrôle sur sa propre vie, la machine dictera le contrôle sur soi-même. 
La voix, à l’opéra, est une histoire de vibration du son comme chez Callas ou Verdi.  Dans le Sprechgesang, on émet le son, on quitte la note avant qu’elle ne vibre dans le visage.  C’est nouveau au XXe siècle. Le message relationnel devient souvent brutal, la musique doit transmettre parfois le suicide, parfois l’odieux, par son propre langage.

La guerre d’Algérie, la guerre froide, les injustices sociales, tout cela ébranle le temple établi de l’opéra. On souhaite alors se servir de l’opéra pour passer des messages politiques. On invente un nouveau vocabulaire musical, une nouvelle expérience sonore.
Au Québec, Claude Vivier crée alors le théâtre musical durant les années 60. Il meurt précocement à 35 ans. Influencé par Monteverdi, Wagner ou Mozart, il invente pour plonger dans la fantasmagorie. Le geste devient porteur de son, le tromboniste, le chanteur, l’orchestre, tout peut être sur la scène. Le musicien voit alors son rôle de musicien, élargi. Il se questionne sur son rôle comme musicien en même temps que comme interprète. La mélodie est plus accessible, elle veut nous parler le plus directement possible, nous explique le musicologue.
En 1980, la postmodernité va trop loin.  Il devra reprendre le contact avec le public. On hybridera les styles. La musique campera le décor, l’atmosphère et l’attitude de l’artiste. On laissera vivre  une émotion.
Au Canada, le 11 décembre 2012, on a commémoré  le 50e anniversaire de la dernière exécution publique. Cela ne fait pas tellement longtemps…Encore 30 états américains donnent des peines capitales. Sœur Helen Prejean a rencontré 2 condamnés à mort pour créer le personnage interprété, cette semaine, par le baryton canadien Étienne Dupuis à la Place des Arts. L’histoire d’un conflit humain, vu comme un énorme voyage, son journey.
Un jeune couple d’amoureux sur une plage qui s’embrassent  Les frères Anthony et Joseph De Rocher bondissent, les agressent et les tuent.
Helen délaisse alors sa mission d’éducatrice dans un quartier défavorisé, prend la route vers le pénitencier, une longue route.  Elle rencontre l’aumônier, le directeur de la prison et une consoeur qui tentent tous de la convaincre d’abandonner ce projet de guide spirituel d’un condamné à mort.
Arrivée dans la cellule, elle tente de le convaincre d’avouer son crime, ce qu’il refuse avec animosité. Elle n’a pas pris de repas, elle attend et s’évanouit. Fin du premier acte.
Le même aspect visuel, la même scénographie dépouillée, le même décor, la première fois à Montréal, nous permettent de comprendre le doute de sœur Helen, la mezzo-soprano canadienne Allyson McHardy. Une voix lumineuse, sombre, incandescente et somptueuse, écrira le programme de la soirée.
Composé d’airs, de duos, d’ensemble vocal, la fin des actes réunit plusieurs chanteurs comme pour l’opéra conventionnel et sa forme typique.
Dead man walking mêle Broadway et l’opéra. Presqu’une comédie musicale... Ce voyage de la nonne veut nous permettre de désirer la vérité. Avec eux, sans artifice. De la musique, presque, de cinéma. Très cru, à coup de sacres et de jurons, le langage musical traduit l’univers carcéral.  On entend l’influence du jazz, on les suit  pas à pas, dans des moments de silence, puis,  des moments de grâce.
On a alors l’occasion de se questionner sur l’éthique, la philosophie, la vie religieuse, la souffrance de ceux qui sont déjà morts dans leur âme, qu’ajoutera-t-on de plus en les tuant, nous explique Pierre Vachon.
Les parents des victimes, la famille du condamné, tous vivent une tension extraordinaire, ils ne peuvent comprendre la position de sœur Helen…
Jos De Rocher, musculature athlétique, exécute frénétiquement des push up  en les comptant, commence à douter, avoue sa culpabilité en racontant la vérité à la nonne, entrevoit le rachat par l’Amour, la Rédemption, progressivement, lentement.
Tu as fait une chose horrible, mais tu es encore un fils de Dieu, lui explique sœur Helen. La musique est brutale et violente, puis un énorme silence… Des colosses, assis autour de moi, versent des larmes en même temps que moi. Le public, à la corbeille de la salle Wilfrid-Pelletier, est plus masculin qu’habituellement…
Une musique qui ressemble à une musique de film.  Dans une progression tellement rapide, on ne s’empêtre pas, on ne prend pas le temps de finir une mélodie avant d’avancer dans un autre sentiment.  On casse la rigidité d’antan. On délaisse les anciennes règles d’écriture. 
La machine de la mort, le corps sanglé sur la table de la mort, le cœur qui bat, puis un trait sonore qui s’allonge… Il vient de mourir.  Helen chante alors, a capella, un negro spiritual tout comme si elle devenait une femme à la peau noire… Magnifique, tout simplement, grandiose…
Puis le silence et le rideau tombe.  Et pour la première fois de ma vie, j’entends des applaudissements à la manière d’une otarie et non plus les applaudissements  habituellement entendus à la fin d’un spectacle, rapides et trop bruyants.
Une partition accessible, des interprètes formidables, une accessibilité à un nouveau public élargi, l’Opéra de Montréal a visé juste.  Un spectacle qui permettra de renouveler l’offre musicale québécoise et pourra aussi séduire de jeunes mélomanes… tout en plaisant  aux plus vieux par les valeurs véhiculées, de pardon par l’Amour, de Rédemption, de l’acceptation de l’abandon en tant que fils aimé de Dieu, qui sait pardonner au-delà de ce que l’humain peut croire.
L’auteure et religieuse Helen Prejean continue de lutter contre la peine de mort.  J’ai vécu, grâce à elle et toute une équipe du tonnerre, une soirée de plénitude par le sujet, par la qualité de la présentation et par les sanglots qu’elle m’a permis de laisser exploser…
Cette soirée m’a  été offerte par le hasard de billets tirés lors de la soirée de présentation de Pierre Vachon, à la Maison de la musique Sorel-Tracy.
D’autres soirées aussi édifiantes vous attendent  les 12, 14 et 16 mars à Montréal, salle Wilfrid-Pelletier.

Le 14 mai prochain, Pierre Vachon viendra encore nous entretenir d’une autre importante œuvre de l’opéra de Montréal.  Lada Manon  de Massenet avec la jeune soprano Marianne Fiset avec encore des billets à donner par un tirage au sort.  Venez entendre cette conférence et bonne chance….

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