lundi 4 mars 2013

Les femmes qui lisent sont dangereuses

Laure Adler et Stefan Bollmann publiaient en 2005 à Munich ce merveilleux titre littéraire rempli de mots, de peinture et de photographie.

Traduit en 2006 par Jean Torrent aux éditions Flammarion, ce livre précieux d'art et de littérature a toujours été un livre si important pour moi que je l'ai même offert à ma jeune fille pour ses 25 ans.

On y apprend que lire était d'abord interdit aux femmes. Puis les peintres peuvent peindre que l'invisible existe et que ce qu'enseigne la doctrine de l'Église existe. On peut alors peindre la preuve.

La femme surgit alors dans le cadre.  Marie, dans un tableau de Simone Martini, l'Annonciation, de 1333, visible à Florence à la galeie des Offices (que j'ai d'ailleurs visitée en 1978), est en train de lire quand l'ange vient lui annoncer qu'elle est bénie entre toutes les femmes.

Elle couvre alors le livre de sa main tout en introduisant son pouce à la page dont on a interrompu la lecture.  La Vierge lit donc. Les saintes, plus particulièrement,  Marguerite et Marie Madeleine, possèdent aussi le droit de lire pour exorciser les démons, terrasser les dragons ...

Il y a plus dangereux que les princes charmants. Il y a les livres enchanteurs. charmeurs. ensorceleurs. Le mot latin pagine dit la demeure la plus vaste ... l'âme peut s'y mouvoir, voyager, composer, revenir (selon l'auteur Pascal Quignard dans Dernier Royaume, vol.2, Sur le Jadis, Paris, Gallimard).

Écrire, c'est produire le texte.  Lire, c'est le recevoir d'autrui sans y marquer sa place, sans le refaire. Michel de Certeau, dans L'invention du quotidien, décrit comment le livre lui-même n'est pas que le livre, il n'y a jamais un seul livre, il y a tous les livres lus et le livre n'est en fait que la construction de la personne qui le lit. La lectio  est l'opération faite sur le livre, cette production propre qu'entreprend toute personne qui s'empare d'un texte. La lectio dévoile le texte, l'interprète, peut bousculer  ou détourner les intentions de l'auteur. La lectio crée du désordre, dit Certeau, du combinatoire, de l'ouverture en une pluralité de significations.

Les auteurs pensent qu'il y a une manière particulière des femmes d'aimer les livres, de pratiquer l'art de la lecture, d'avoir besoin des livres comme d'une sève nourricière et même de considérer, à certains moments  de leur existence, que vivre c'est lire. J'ai souvent penser ainsi.

C'est pour cela que les femmes qui lisent sont dangereuses, écrivent les auteurs. Les hommes vont empêcher, encercler, encager les femmes pour qu'elles lisent le moins possible et qu'elles ne lisent que ce qu'ils leur enjoignent de lire. C'était ainsi dans ma jeunesse robertoise. Je devais me cacher pour lire à ma guise, des heures et des heures, la lampe interdite de lecture nocturne.

La mère de Goethe, alors âgée de 75 ans, écrivait à sa bru  pour la remercier de lui avoir envoyé des romans féminins: Vous ne pouvez faire oeuvre meilleure, que d'avoir la bonté de m'en faire profiter dans ma pauvreté d'esprit quand vous recevez des choses aussi plaisantes.

Le livre favorise la sociabilbité et les échanges entre femmes.  Dans les cercles et les salons, sous prétexte de lire, on refait le monde. La femme qui lit, d'ailleurs, lit toujours trop.Le livre entraîne vers le dehors de la cellule familiale, le dehors de l'espace intime, l'au-dehors de soi-même, de dehors qui devient l'au-delà, le méconnaissable.

Gustave Flaubert disait à Mademoiselle de Chantepie en juin 1857: Lisez pour vivre. Emma Bovary  lit des romans pour s'inventer un monde, le vide du réel se remplit par la fiction.  Le roman est un support de l'imaginaire que le réel ne suffit pas à fournir. Emma devint la figure emblématique du fait que lire expose last but non least, à l'hystérie. Car la femme qui lit est une insatiable sexuelle. Au lieu de frotter le plancher, les femmes prennent la parole, disent Je, produisent du texte théorique, fictionnel, sexuel, du sextuelle, écrivent aussi les auteurs Adler et  Bollmann.

De liseuses, elles deviennent lectrices puis auteures.

La pulpeuse Marylin Monroe, sex-symbol du XXe siècle,  en maillot de bain dans un jardin, lit un livre, Ulysse de James Joyce, concentrée et avec ferveur dans la photographie de 1952 d'Eve Arnold, de l'Agence Focus.  L'artiste photographe racontait qu'entre 2 séances de pose, Marylin est allée chercher son Ulysse, pour se reposer, pour se ressourcer, pour prendre enfin pied dans la réalité: cette fiction qu'elle tentait d'embrasser. Les hommes ont tort de prendre souvent les femmes belles pour des connes. Marylin  était une amoureuse de textes......

Étonnant n'est-ce pas? Ce magnifique livre, je vous le recommande.  Une merveille pour les amantes et les amants de mots, de peinture et de photographie.





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